Cultures, souvenirs, les contes ont leurs mots à dire
Trois voix nous content l'histoire du conte et de son rôle dans la mémoire.
​
​
​
​
​
​
​
​
Traditionnels ou contemporains, les contes divertissent, amusent et participent pleinement à l'imagination ! Depuis des siècles, ils bravent le temps et transmettent la mémoire des cultures et des souvenirs d'autrefois. Hier, les contes étaient écrits sur des tablettes d'argiles, aujourd'hui, c'est l'interprétation de l'artiste qui se pérennise grâce aux balados/podcasts. Jusqu'où ira le conte pour traverser le temps et garder cette notion d'éternité qui lui sied si bien? Au Québec, trois voix nous racontent comment et pourquoi ils se sont mis au service du conte, de l'oralité et de la mémoire. Et surtout pourquoi le conte n'est pas prêt de disparaître !
​
Crédit photo : Stocksnap
Il était une fois...
Au cœur de Québec, des contes et des légendes. Réputés pour divertir, ils permettent aussi la transmission des traditions et des mémoires entre les générations.​
​
Rencontre avec trois histoires pas comme les autres, celles de trois personnes passionnées qui se sont engagées vers le chemin de l’oralité en s’armant de contes et de légendes traditionnels et contemporains. Ils ont choisi de pérenniser certains les contes et d'autres leur culture dans le temps.
Conteuse depuis 2004, Arleen Thibault, québécoise enracinée, nous dévoile une partie de son travail : le collectage, un exercice indispensable aux conteurs pour créer des contes grâce aux souvenirs de chacun.
​
À travers les contes et légendes autochtones, Samuel Vollant, issu du peuple Innus situé dans la région de Saguenay et du Lac Saint-Jean au Québec, nous raconte une partie de sa culture et de son identité. Le conte l’affirme, et la fait revivre dans une société où l’oralité a perdu ses repères.
​
Directrice de la maison d'édition Planète rebelle depuis 2002, Marie-Fleurette Beaudoin raconte comment Planète rebelle et elle se mettent au service des arts de la parole et des conteur.teuses.
​
Ensemble, ces trois voix nous donnent un aperçu du conte et du service qu’il mène pour la mémoire.
​
Crédit photo : Natalie Y
Chez les conteurs Québécois, il y a vraiment un engagement d’oralité. L’accent est mis sur l’oralité. L’héritage d’une culture qui est là et qui doit l’être : notre culture, nos valeurs, d'où on vient. Les conteurs sont bien ancrés, enracinés.
Marie Fleurette Beaudoin, directrice de la maison d'édition Planète Rebelle
Aujourd’hui, le conte continue son petit bout de chemin et résiste au temps notamment grâce à ceux qui ont choisi de le faire vivre. Trois personnalités nous donnent un aperçu du conte au Québec et expliquent pourquoi elles se sont engagées dans cette voie.
​
Crédit photo : Rostyslav Savchyn
Rencontre avec trois personnalités
Samuel Vollant, conteur autochtone
Ce soir-là , le monde est au rendez-vous au café Fou Aeliés sur le campus de l'université Laval. Habituellement rempli d'étudiants qui viennent décompresser après une journée de travail ou d’études, d’autres personnes se sont ajoutées ce mardi là pour assister à une soirée « contes et légendes » qui a lieu dans le cadre de la semaine de la forêt. Pour l’occasion, plusieurs conteurs comme Samuel animent la soirée et partagent les histoires extraordinaires de Hiawatha, un des personnages les plus populaires des légendes amérindiennes d’Amérique du Nord ou de Babine, un personnage venu tout droit de l’imaginaire de Fred Pellerin, un conteur contemporain québécois.Â
Après avoir discuté avec les conteurs sur leur passion du conte, je décide quelques semaines plus tard de reprendre contact avec Samuel.
​
C’est l’hiver et comme très souvent à Québec, il neige. Les flocons s’amoncellent dans la rue et habillent les trottoirs d’un manteau blanc. En regardant le paysage à travers la baie vitrée, nous avons l’impression que la vie dehors est figée. Mais pendant ce temps, dans mon appartement, nous sommes tous les deux assis au chaud autour de la table du salon. Des tasses de thé nous réchauffent et mon compagnon cuisine de succulents biscuits chocolat-amande. Une liste de questions me trotte dans la tête, je m’arme du téléphone pour enregistrer, d’un stylo et d’une feuille, puis je me lance.
​
Samuel, confiant, cultivé et passionné, me raconte tout : les contes et les légendes chez les autochtones, leurs manières de chasser, les anecdotes familiales et l’une des périodes les plus noires subies par les Premières Nations.
​
Il s'est engagé sur le chemin des contes et des légendes à la fois par passion mais aussi pour garder en mémoire et faire vivre la culture autochtone.
Samuel Vollant a 22 ans. Appartenant du peuple Innus, il a grandi dans la réserve au Saguenay-Lac Saint Jean. Enfant, il prend déjà goût au conte grâce aux anciens qui racontaient des légendes amérindiennes comme la légende de Pipam, un personnage innus. Maintenant, il conte à son tour depuis presque 4 ans et récemment, il s’est professionnalisé pour animer les soirées « mythes et légendes » à la réserve Wendake située tout près de la ville de Québec.
​
Crédit photo : Tourisme Wendake
« Les contes c’est un peu une machine à remonter dans temps où plus jeune, tu t’amusais et puis quand c’était le moment d’être plus sérieux, t’écoutais. C’est peut-être pour ça que j’adore aujourd’hui ce que je fais. Je pense que c’est important de continuer ces légendes parce que chez les peuples autochtones, on veut tenter de garder et en même temps s’adapter, se moderniser. On ne veut pas non plus être laissé derrière, et on veut être reconnu comme des gens normaux. Y’a aucune différence à part la langue. »
Samuel Vollant
Les veillées de contes et de légendes
Dans les communautés autochtones, raconter des contes et des légendes était un moment particulier lors de la veillée. C’était l’occasion pour les plus anciens de transmettre leurs cultures et les fondements de leurs croyances.
​
Lorsque la nuit tombait et que les étoiles pointaient le bout de leur nez, tout le monde, petits et grands, se réunissait avec hâte au coin du feu et écoutait attentivement l’ancien conter l’histoire. Les yeux rivés sur le sage, les oreilles grandes ouvertes, voilà que tous se laissaient porter par la voix du conteur et s’abandonner à leur imagination nous raconte Samuel.
​
À travers l’oralité, l’ancien agissait comme un pont pour ces histoires et ces cultures. Incarnant le passé, elles traversaient le temps et surgissaient dans le présent pour que plus tard, l’ancien de demain les raconte à son tour aux générations futures.
L’écrit n’était pas au service de la mémoire, seule l’oralité faisait ce travail.
​
Ci-dessus, un dessin animée réalisée par les rendez-vous Loto-Québec qui reprend une légende huronne qui conte la création de la vie : La Naissance du monde.
« C’était plutôt en fin de journée, proche d’un feu : c’est la personne la plus vieille qui contait généralement. Chaque famille avait un grand-parent qui contait le soir. Les journées à l’époque étaient remplies donc pour se relaxer, c’était la session des contes et un moment pour apprendre quelque chose de nouveau par les contes. La grand-mère ou le grand-père racontait une histoire. »
Samuel Vollant
La mémoire des contes pour sauvegarder des cultures autochtones
Samuel découvre les contes et légendes transmis depuis des générations lors de rencontres dans les réserves. Il les écoute, les apprécie et les apprend pour devenir comme il le décrit une "encyclopédie humaine" qui peut par la suite transmettre des bribes culturelles issues des Premières Nations aux générations actuelles et futures. Lorsqu’il conte, Samuel le fait en français, bien qu’il connaisse la langue innus et apprenne toujours du vocabulaire des langues autochtones.
​
Il a pris cette route par passion mais aussi pour défendre sa communauté. En grandissant, il a décidé d’assumer ses racines et depuis quelques années, milite pour la sauvegarde des cultures autochtones, celles-ci nécessitant justement de nombreux soutiens après avoir subi des tourments difficiles et avoir été fragilisées au fil des siècles.
« Ma mère côté culture, elle ne nous poussait pas assumer notre culture autochtone, c’est lorsqu'elle a travaillé à Québec pour un avocat qui travaillait sur des codes autochtones qu’elle a vu qu’il fallait dire ce qu'on est, qu'il fallait être fier. »
Samuel Vollant
Des cultures fragilisées
Bien qu'au Québec, ces dernières années, plusieurs actions ont participé activement à la survie de cultures et de langues autochtones. Par exemple, le projet Yawenda, en 2007, qui a choisi de contribuer à la revitalisation d’une langue ancestrale de la première nation de Wendake : le Huron-Wendat, disparu depuis le XXeme siècle ou encore en 2016, le dépôt d'un projet de loi portant sur la défense des langues autochtones, par le sénateur québécois Serge Royal en 2016, validé quelques semaines après.
​
Malgré ces actions de revitalisation de langues et cultures autochtones, le linguiste et sociolinguiste québécois Jacques Marais dénombrait la perte d'environ 213 langues autochtones disparues en Amérique du Nord (Canada, Etats Unis et Mexique) en 2011. La disparition de ces langues est le résultat de blessures ayant fragilisé les transmissions entre générations des mémoires collectives*. Notamment, l’une des périodes les plus noires pour les peuples autochtones au Québec et au Canada : les pensionnats entre 1820 et 1996. Un véritable génocide culturel qui a affecté les communautés autochtones comme le souligne Beverley McLachlin, la juge en chef de la Cour suprême en 2015 dans un discours sur la tolérance prononcé devant le Centre mondial sur le pluralisme. Ce discours eut lieu une semaine avant la publication de témoignages d'ex-élèves des pensionnats par la Commission de vérité et de réconciliation (CVR). Créée en 2008, la CVR a permis à environ 150 000 élèves de raconter leurs douloureuses expériences, de découvrir la réalité à propos du système des pensionnats indiens et d'instaurer une réconciliation durable partout au Canada.
Rappel historique
Les pensionnats (1820-1996)
En 1820, le gouvernement fédéral canadien et les Eglises décident de construire 130 pensionnats à l’échelle du Canada dont six officiels au Québec. Ces pensionnats autochtones servent à scolariser et à évangéliser les enfants autochtones : séparés de leurs parents, ils sont contraints d’apprendre une nouvelle culture et une nouvelle langue. Si les familles autochtones refusent, le gouvernement fédéral cesse de verser les allocations, les obligeant à y envoyer leurs enfants à contre cœur**. Une fois là -bas, les enfants ne doivent plus parler leur langue natale, ce qui les coupe définitivement avec leurs racines comme l'explique Lillian Elias (dont le nom Inuvialuktun est Panigavluk), activiste linguistique, enseignante et survivante des pensionnats.
​
Les autochtones assistent à une mort à petit feu de leurs propres cultures et subissent de profonds traumatismes et bouleversements individuels et collectifs. Les cultures des Premières Nations sont mises sous silence durant la période des pensionnats en empêchant l’apprentissage de leurs propres langues, de leurs propres histoires et de celles de leurs communautés.
​
Ces pensionnats mettent aussi un terme aux veillées et aux transmissions orales entre les anciennes et les nouvelles générations, à ces rituels partagés au coin du feu où l’ancien racontait les contes et légendes à toute la famille. Un rituel pour perpétuer l’histoire de leurs familles et celles de leurs communautés.
​
Crédit photo : Bibliothèques et Archives du Canada, Pensionnat de All Saints, Lac La Ronge (Saskatchewan), mars 1945
Même si Samuel n’a pas vécu l'époque des pensionnats, il est conscient de leur empreinte sur les communautés autochtones. Une empreinte, de l'ordre de l'impact intergénérationnel que des chercheurs de l'université du Québec à Chicoutimi et de l'université McGill au Canada ont étudié en 2016 au Québec. Ils ont observé que les familles autochtones confrontées aux pensionnats avaient de plus grandes probabilités de vivre des traumas sur plusieurs générations.*
​
Cette récolte de contes et légendes par Samuel est donc un acte à la fois militant et de sauvegarde. Bien plus que de les renfermer simplement dans un musée, le conteur choisit de les faire vivre encore et toujours à travers l’oralité. La revitalisation de ces contes et légendes offre à ces cultures le moyen de traverser le temps de nouveau et cette fois-ci sans embûches.
« Etre conteur c’est être conservateur, un passé que tu souhaites conserver. Plus proche du conservateur et militer vers ça. Des légendes il en existe à profusion, des milliers. Et progressiste malgré tout. Tu milites pour quelque chose qui est traditionnel, cela dépend des conteurs. »
Samuel Vollant
Arleen Thibault, conteuse québécoise
Conteuse professionnelle depuis 2004 et auteur-interprète du spectacle Le vœu édité chez Planète Rebelle, Arleen Thibault a vu le conte s'installer à Québec au début des années 2000 avec Les Dimanches du conte au Sergent recruteur et dans les festivals. Elle était à ce moment-là étudiante en théâtre à l’université Laval et avait comme projet de fin d’étude de mettre en place un spectacle de contes. Elle a alors commencé au cercle des conteurs de Québec, un regroupement de conteurs de la région de Québec fondé en 2000 et toujours actif dont le but est de favoriser l’art de conter en organisant des rencontres, des ateliers et des spectacles-veillées.
« Des fois je dis que j’ai le sens merveilleux comme les gens qui disent j’ai le sens de l’humour. »
Arleen Thibault
Pour son prochain spectacle, en avril 2020, Arleen avait prévu de réaliser une rencontre à la Maison de la Littérature pour réaliser du collectage. Mais à cause de la situation liée à la COVID-19, cet événement est reporté à une date ultérieure.
Mais qu'est-ce que le collectage ?
C'est une collecte de souvenirs où tout le monde est invité à participer, échanger, raconter et/ou écouter les anecdotes de chacun m'explique Arleen Thibault. Le thème de son prochain collectage parle de sa prochaine création : « les laitiers », ces personnes qui autrefois faisaient du porte-à -porte et proposaient aux habitants d’acheter du lait dans des bouteilles conditionnées.
​
Pour la conteuse, le collectage c’est l’occasion parfaite pour écouter, noter et questionner toutes ces personnes qui viennent se rappeler de proches ou lointains souvenirs.
« Les moments de collectage sont toujours émouvants, drôles et attendrissants »
Arleen Thibault
​
Le collectage au service de la mémoire
Ces souvenirs participeront à l’élaboration de son spectacle. Dès que la conteuse a en sa possession suffisamment de matière, elle n’a plus qu’à les réécrire avec sa plume de conteuse et à les passer à la moulinette de l’imagination pour les colorer légèrement.
​
Le collectage demande au conteur patience et, attention comme le confie Marie-Fleurette Beaudoin, directrice de la maison d’édition Planète Rebelle : « Les conteurs c’est d’abord des gens très humains, c’est d’abord des gens engagés avec des démarches en faveur de l’humanité […] c’est des gens de communauté ».
​
Même si le souvenir peut paraître sans grand intérêt, le regard et l’attention du conteur permettent de trouver dans cette banalité une véritable source d’inspiration. C’est en quelque sorte prendre de l’ordinaire pour faire de l’extraordinaire comme semble l'expliquer Arleen Thibault. Tous ces participants s’amusent à explorer dans leurs souvenirs les plus enfouis et les font revivre grâce à la parole. Un réel travail de la mémoire a lieu lors de cette rencontre et permet aux souvenirs de traverser le temps.
​
Ce fameux collectage qui est de fixer des traditions orales sur des supports matériels ne date bien sûr pas d’hier. C’est avec lui que des contes et des légendes traditionnels ne sont pas tombés dans l’oubli et ont permis d’atteindre nos oreilles.
Historique : Du collectage de récits oraux à la devise « je me souviens »
On retrouve un rapide aperçu du processus de collectage dans le livre Petit manifeste à l’usage du conteur contemporain, Le renouveau du conte au Québec de Jean-Marc Massie paru en 2001.
Dans le monde, le collectage aurait commencé avec L’Épopée de Gilgamesh retrouvé sur des tablettes d'argiles au XVIIIe et XVIIe siècle avant JC dans la Babylonie.
Mais étant une épopée et non un conte au sens littéraire du terme, le premier véritable conte de tradition orale collecté serait Le conte des deux frères retrouvé sur papyrus au XIIIe siècle avant JC.
D'autres traces de contes de la tradition orale se sont manifestées dans des œuvres médiévales jusqu’au XVIIe, avec Les Contes de ma mère l’Oie de Charles Perrault.
Au XIXe siècle, les contes des Frères Grimm sont aussi nés à la suite de collectages dans l’Allemagne.
​
Au Québec, Jean-Claude Germain, auteur de La double vie littéraire de Louis Fréchette, donne l'origine des premières collectes d'histoires, de contes et de légendes auprès des habitants par des auteurs québécois. « Hâtons-nous de raconter les délicieuses histoires du peuple avant qu’il ne les ait oubliées », écrit Charles Nodier, écrivain et dramaturge français, ce qui définit les prémisses de la littérature québécoise en 1860. Des écrivains et des journalistes comme Joseph-Charles Taché, Hubert La Rue et l’Abbé Henry-Raymond vont donc collecter des contes, légendes et chants folkloriques pour construire une littérature nationale. Ces auteurs et d’autres encore vont se regrouper autour de la revue Soirées canadiennes.****
De son côté, l’auteur Joseph-Charles Taché va aussi rédiger des récits populaires intitulés Forestiers et Voyageurs, qui seront illustrés par son cousin Eugène-Etienne Taché. Ce dernier est à l’origine de la devise de Québec Je me souviens (1883) inscrite sur l'hôtel du Parlement du Québec. Cette devise a donc croisé dans un passé lointain les façonneurs de la littérature québécoise : ces fameux collectages.
​
​
« Le collectage c’est une forme de démarche artistique que tous les conteurs du monde réalisent. Les conteurs sont très enracinés dans la communauté, ils vont rencontrer des gens. C’est ce qu’ils distinguent des écrivains, souvent c’est des commandes : nous, on voudrait témoigner des histoires de villages, et les conteurs vont collecter. »
Marie-Fleurette Beaudoin
Au-delà du geste social et artistique, le travail du collectage des conteurs et des auteurs nourrit la mémoire collective et maintient vivants des histoires et des souvenirs dans l’esprit de ceux qui ne les ont pas vécus. Les contes traditionnels comme contemporains peuvent ainsi jouer leur rôle de transmetteur. Et comme le fait remarquer la conteuse Arleen Thibault :
« On est aussi le folklore de demain, peut-être qu’un jour on racontera les vieux contes des années 2020 ».
Marie-Fleurette Beaudoin, directrice de la maison d'édition Planète rebelle
Une maison d'édition pas comme les autres
Depuis 2002, Marie-Fleurette Beaudoin est la directrice de la maison d’édition Planète rebelle, la première et l’unique au Canada ayant comme ligne éditoriale « Littérature et oralité ». Sa mission est d'éditer des contes traditionnels et urbains, venus de conteurs d’hier et d’aujourd’hui tout en restant fidèle à l’oralité du conte. Pour cela, André Lemelin, le fondateur de Planète Rebelle, avait décidé d’utiliser le concept du livre-CD, format toujours utilisé pour les collections ado/adulte et jeunesse.
​
Il y a deux cent ans les contes se transmettaient seulement de bouche à oreille, par oralité, souvent de père en fils ou de mère en fille. Bien qu'il y ait eu des auteurs comme Louis Fréchette et Philippe Aubert de Gaspé au 19e siècle, ils ne sont que des exceptions dans la transmission des contes de tradition orale au Canada. Et aujourd’hui, non seulement l’écrit traverse le temps mais aussi l’interprétation de l’artiste grâce aux voix enregistrées. La maison d'éditions propose toujours des contes narrés à l'oral sur plusieurs plateformes, comme le montre l'extrait ici :
« Chez les conteurs Québécois, il y a vraiment un engagement- une pratique de l'oralité. L’accent est mis sur une narration. L’héritage d’une culture qui est là et qui doit l’être : notre culture, nos valeurs, d'où on vient. Les conteur.teuses sont bien ancrés, enracinés dans ce territoire. »
Marie-Fleurette Beaudoin
Naissance de Planète rebelle pendant le renouveau du conte
En 1997, le conteur André Lemelin fonde Planète rebelle.
C'est la période où le Québec est en plein renouveau du conte : les événements et les festivals se multiplient à Montréal, à Trois-Pistoles en Estrie. Des artistes se font appeler conteurs. Des contes traditionnels refont leurs apparitions… Le Sergent recruteur, un lieu populaire à Montréal, accueille tous les dimanches soir des conteurs lors de veillées de contes organisées par André Lemelin, Jean-Marc Massie et François Lavallée. Marie-Fleurette Beaudoin se souvient qu’à toutes les soirées, la salle était pleine à craquer et qu’« une vague de création de contes » avait surgi dans l’ombre au Sergent recruteur.*****
Mais pour Marie-Fleurette Beaudoin, le conte au Québec ne s'est jamais vraiment éteint :
« On a eu un ministère de l’éducation pour tous en 1964 ; donc oui, il y avait des écoles mais la plupart des enfants venaient de fermes et quand il y avait des travaux à la ferme, au printemps et à l’automne, il était plus important d’aller à la ferme qu’à l’école. Et puis, il y a eu le fait que les canadiens français ont été confinés à la campagne parce qu’ils avaient été conquis au XIXe siècle donc ceux qui avaient de l’argent, qui participaient à l’économie, l’élite, c'étaient les anglophones et non pas les francophones. Les francophones ont été mis de côté. Ça ne veut pas dire qu’ils sont restés les bras croisés, il y avait tout un système de veillées qui était la base de nos valeurs comme société même actuelle de solidarité. Les veillées à tout prétexte, dans les rangs, dans les campagnes, les gens se réunissaient pour fêter, pour manger, et ça a commencé au XVIIIe et ça a perduré au XXe siècle. »
Comme nous l'explique la directrice de Planète Rebelle, si le conte s'est fait plus discret dans les pays où l'écriture et la lecture devenaient des apprentissages de plus en plus accessibles à tous, au Québec, le conte ne s'est pas éteint longtemps. Il a continué jusqu'aux années 50, dans des endroits éloignés des campagnes et des villes : les camps de bûcherons. Au cœur des forêts, la tradition des contes populaires persistait.
Le conte à l'oreillette
Pour ne pas finir aux oubliettes
​
Les contes et légendes ne sont pas prêts de disparaître et ont bel et bien l’intention de continuer leur chemin au creux de toutes les oreilles comme le prouve ces trois personnalités. Le projet de Planète rebelle est désormais de créer des balados à la place des livres-CD. Une baladodiffusion telle que celle réalisée par Magnéto Balado, une maison de production qui s'est déjà lancée dans la création d'une émission de ce genre intitulée Fictions. Cette émission propose des récits imaginaires pour petits et grands.
​
Grâce au collectage, aux défenseurs du conte québécois et autochtone, d’autres contes et légendes vont continuer de se joindre aux contes traditionnels et permettre de garder en mémoire l’histoire de l’humanité. Et, comme le souligne Arleen Thibault, nos contes contemporains seront un jour les contes traditionnels du XXIe siècle. Sauf que, cette fois-ci, non seulement, ils se liront mais il sera possible d'entendre les voix des conteurs d'aujourd'hui en les appelant les conteurs traditionnels du XXIe siècle.
Sources
*Jacinthe Dion, Jennifer Hains, Amélie Ross et Delphine Collin-Vézina, Pensionnats autochtones : impact intergénérationnel, 2016
**L'encyclopédie canadienne, Peuples autochtones au Canada, 2007
*** Jean-Marc Massie, Petit manifeste à l’usage du conteur contemporain, 2001, Planète rebelle